Ces dernières années, avec les tensions subsistant entre les institutions européennes, la couverture médiatique relate couramment les différents partenariats entre les pays d'Europe de l'Est comme ceux du Groupe de Visegrád réunissant la Pologne, la Slovaquie, la Tchéquie et la Hongrie[1]. Cependant, il existe un autre partenariat réunissant les pays de l'Est, bien moins médiatisé : celui de l'Initiative des Trois Mers (I3M).
Constituée en 2015 par le président polonais Andrzej Duda et son homologue croate de l'époque, Kolinda Grabar-Kitarović[2], l'Initiative réunit à l'instar des pays de Visegrád, les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), la Roumanie, la Bulgarie, l'Autriche ainsi que la Slovénie et la Croatie[3].
Lors du premier sommet organisé à Dubrovnik en 2016, les 12 dirigeants des pays membres ont adopté une Déclaration commune sur «la coopération dans les domaines de l’énergie, des transports, du numérique et de l’économie»[4]. Dans le cadre de cette Initiative, comme le président Duda le soulignait, il est «question de coopération régionale centre-européenne, sur des projets concrets, menés dans le cadre de l’UE et contribuant à une plus grande cohésion, et au développement régional, de l’Union»[5].
Toutefois, depuis la visite de l'ancien président américain Donald Trump à Varsovie, à l'occasion du deuxième sommet de l'Initiative des Trois Mers (2017), les dirigeants ont accentué leur coopération sur les secteurs de l'énergie et de la défense[6]. En effet, ils misent sur une plus forte intégration de la région en matière énergétique (particulièrement pour le gaz) avec une présence croissante des États-Unis sur le marché mondial du gaz liquéfié (GNL). Ceci, dans le contexte du gazoduc Nord Stream 2, n’est pas fait pour rassurer l’Europe orientale, et pousse à une diversification d'approvisionnement énergétique[7]. En outre, au sommet de Varsovie, l'ancienne présidente croate Grabar-Kitarovića annoncé une préparation d'expertise concernant 157 projets d’infrastructures en matière d’énergie, de transport et de télécommunications, pour une valeur d’environ 50 milliards d’euros. Parmi ces projets figurent le corridor gazier Nord-Sud reliant la Baltique à l’Adriatique, dans lequel le terminal polonais de Świnoujście sera relié au terminal croate sur l’île de Krk (en construction), ainsi que les inter-connecteurs gaziers entre la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque, dont une branche relie la Hongrie[8]. Les dirigeants travaillent actuellement sur le gazoduc Baltic Pipe, qui permettrait l’approvisionnement de l’Europe centrale de gaz en provenance de la Norvège (en passant par le Danemark) à partir du terminal GNL de Świnoujście[9].
D’autres projets d'infrastructures routières et ferroviaires sont également en cours de réalisation comme la Via Carpatia et le Rail Baltica[10]. La Via Carpatia consiste à relier la ville portuaire lituanienne de Klaipėda (mer Baltique) à Thessalonique (mer Égée) en passant par la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, tandis que le Rail Baltica vise à relier Varsovie à Tallinn, voire Helsinki, via la Lituanie et la Lettonie[11].
Enfin, au sommet de Ljubljana (Slovénie) en juin 2019, deux banques d’investissement polonaise et roumaine ont annoncé la création d’un Fonds d’investissement de l’Initiative des trois mers, auquel 9 des 12 pays participent actuellement, en parallèle des programmes européens[12]. Le montant de ce fonds est chiffré à un peu plus de 1,2 milliard d’euros (dont 750 millions apportés par la Pologne) et devrait atteindre à terme 5 milliards d’euros avec des contributions de pays membres de l’I3M, d’institutions financières internationales et d’investisseurs institutionnels privés[13].
En septembre 2019, les présidents des places financières des pays du Groupe de Visegrád (V4 : Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie) ainsi que de trois autres pays de l’Initiative des Trois Mers (Roumanie, Croatie et Slovénie) ont encore fait part de leur intention de créer un index boursier commun, le CEEplus[14].
L'Initiative des trois mers désigne donc une Union dans l'Union dans la mesure qu'elle œuvre pour une meilleure connexion Nord-Sud, et non plus seulement Ouest-Est comme c'est traditionnellement le cas. En parallèle de l'Union européenne, elle travaille à un développement socio-économique approfondi des pays d'Europe centrale et orientale. Effectivement, d'après les données statistiques, les 12 pays membres représentent 30 % de la surface de l’UE, 25 % de sa population, et presque 20 % de son PIB[15].
Le président allemand Steinmeier a récemment souligné l'importance de cette Initiative, en soutenant une européanisation accrue de celle-ci ("to become part of European policies and investment instruments") à l'occasion du dernier sommet tenu à Sofia (Bulgarie) en juillet 2021[16]. De surcroît, la Commission européenne demeure un important contributeur en matière d'investissements infrastructurels dans les pays de l'I3M, de l'Adriatique à la Baltique en passant par la Mer Noire[17].
Hormis l'Allemagne et les États-Unis, de nombreux pays étaient invités aux sommets de l'I3M, comme la Grèce et le Japon[18]. L'Initiative dispose également des projets géopolitiques pour consolider les influences américaine et européenne face à celles de la Russie et de la Chine[19]. Cette importance s'inscrit dans un contexte où les dirigeants européens se mobilisent, suite à la déstabilisation de l'Ukraine (Crimée, Donbass)[20], pour un renforcement militaire du flanc oriental de l'OTAN. Tandis que les dirigeants de l'Initiative travaillent aussi à concurrencer la Route de la soie (Belt Road initiative) développée par la Chine[21].
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