Après la Russie et la Chine, un nouvel acteur régional s'impose de plus en plus en Afrique : la Turquie. En effet, depuis les années 2000 et sur base d'un Plan d'action gouvernemental de 1998, les investissements économiques, infrastructurels, militaires et culturels turcs se sont multipliés sur l'ensemble du continent, bien au-delà des zones d'influence traditionnelles comme celle de la Méditerranée et de la Mer Rouge[1].
Les autorités et entreprises turques ont observé un potentiel important à travers le marché africain et ont multiplié les contacts avec celui-ci, à travers plusieurs rencontres et initiatives.
En exemple, celle de l'« année de l'Afrique » (2005), décrétée à Ankara[2].
D'ailleurs, en janvier 2008, l’Union africaine a déclaré la Turquie comme un partenaire stratégique de l’Afrique[3]. La même année, s’est déroulée à Istanbul, la première rencontre internationale sur la coopération Turquie-Afrique, marquée par des discussions bilatérales avec quarante-deux représentants d'États[4]. Elle succède à d'autres sommets organisés dans la même ville, comme celui du partenariat Turquie-Afrique (2005), qui s'est ensuivi de plusieurs autres, comme celui qui s'est déroulé à Malabo (Guinée-équatoriale) en 2014[5].
La stratégie turque d'investissements sur l'Afrique repose sur trois piliers que sont : (1) le déploiement d’ambassades sur le continent (aujourd'hui on en compte 43, alors qu’elles n’étaient que neuf en 2003) ; (2) l’ouverture de lignes de la Turkish Airlines, qui dessert une cinquantaine de villes africaines ; et (3) l’action de l’agence TIKA, qui finance de nombreux projets dans les domaines du bâtiment, de la santé, de l’agriculture, etc[6]. L'Agence turque de coopération et de développement (TIKA) dispose de 30 centres de coordination à travers le continent[7].
En plus du TIKA, il existe d'autres organismes impliqués comme le Conseil des relations économiques extérieures (DEIK), chargé des relations internationales du secteur privé turc, et la Confédération des hommes d’affaires et des industriels de Turquie (TUSKON), regroupant près de trente mille sociétés ainsi que cent cinquante organisations locales de commerçants[8].
Parmi les investissements turcs actuels, on peut citer la plus grande aréna de l'est africain située au Rwanda (Kigali Arena), une mosquée nationale au Ghana, une base militaire en Somalie (TURKSOM), ainsi qu'un projet ferroviaire de 400 km reliant l'Éthiopie au port de Djibouti (Awash-Weldiya)[9]. Au Sénégal, les entreprises turques travaillent à la construction d’une nouvelle ville près de Dakar ainsi qu’à celle d’une ligne ferroviaire. Elles ont même obtenu la gestion du nouvel aéroport international de Dakar, inauguré en 2017[10].
Les sociétés turques investissent également dans les ressources naturelles, les hydrocarbures, l'agriculture et l'industrie[11]. Comme le Nigéria et la Somalie, l'Angola est convoité grâce à ses gisements gaziers et miniers[12].
Les ventes d'armements (drones militaires d’attaque) sont aussi florissantes, comme au Nigeria qui est en proie à Boko Haram[13]. Même avec le Niger voisin, la Turquie avait signé un accord de défense en juillet 2020[14]. Le pays étend par ailleurs sa coopération dans le domaine éducatif et les secteurs socioculturels[15].
Enfin, la Turquie investit encore dans le domaine alimentaire : l’Afrique représente ainsi 10 % des ventes agricoles et alimentaires de la Turquie dans le monde[16].
D'après les statistiques, le volume des échanges d'Ankara avec le continent africain est passé de 5,4 milliards $ en 2003 à plus de 25 milliards $ en 2020[17]. L'Institut Espagnol de Commerce Extérieur (ICEX) a indiqué que la Turquie a déjà conclu dix accords de libre-échange - portant sur l'élimination des droits de douane et des taxes sur les échanges de biens et de services entre la Turquie et ses partenaires - avec les pays africains : l'Égypte, le Maroc, la Tunisie, la Côte d'Ivoire, le Ghana, la Somalie, le Rwanda, le Mozambique, l'île Maurice et le Soudan (en cours de ratification)[18]. D’autres négociations sont actuellement en cours avec la République démocratique du Congo, les Seychelles, le Cameroun, le Tchad, la Libye et Djibouti. La Turquie explore aussi des possibilités d'accord de libre-échange avec l'Algérie et l'Afrique du Sud[19].
Les investissements turcs sont promus et appuyés à l'occasion de multiples visites ministérielles et présidentielles dans les pays africains[20]. En seule qualité de premier ministre et d’actuel président, Erdogan a visité 30 pays africains depuis 2004[21]. Récemment, il s'est rendu en Angola, au Nigeria et au Togo, du 17 au 21 octobre 2021[22]. Un mini-sommet s'est aussi déroulé le 19 octobre à Lomé, entre Erdogan et ses homologues togolais, burkinabè et libérien[23].
Inversement, les dirigeants et les entrepreneurs africains travaillent à mieux atteindre le marché turc et à coopérer davantage avec les sociétés turques, en tant qu'acteurs alternatifs à l'Europe[24]. Pour cette raison se sont tenus le Forum africain sur l’investissement en Turquie, organisé en juin 2021[25], puis en octobre 2021 à Istanbul le 3ème Forum économique Afrique-Turquie (Turkey-Africa Business Summit), au cours duquel une trentaine de ministres africains ont participé[26]. Un troisième sommet Turquie-Afrique est prévu en décembre 2021[27].
Les investissements futurs demeurent principalement économiques, énergétiques, infrastructurels, mais restent aussi centrés autour de la culture, des affaires religieuses et du domaine médical.
Jusqu’à nos jours, des aides en matière de fournissement d'appareils et d'équipements médicaux ont été fournies à 44 pays africains[28]. Des hôpitaux ont été inaugurés par les investisseurs turcs, dont deux dans les pays du Sahel ; l’un à Bamako (Mali) et l’autre à Niamey (Niger)[29].
Dans le Sahel, les sociétés turques travaillent à la construction d’une mosquée destinée au Haut conseil islamique du Mali à Bamako, ainsi que sur la restauration de la Grande mosquée d’Agadez dans le Sahara nigérien[30]. Au Sénégal, des mosquées sont aussi financées par la Turquie[31]. Même les pays de la Mer Rouge restent dans le collimateur ; c’est le cas du Soudan avec le port de Suakin -situé juste en face du port de Jeddah (Arabie Saoudite)-, aujourd'hui géré par Ankara grâce à un bail emphytéotique accordé par Khartoum[32]. En plus de restaurer le patrimoine architectural et historique du lieu, Ankara vise à faire de Suakin une nouvelle zone touristique et de transit à destination des pèlerins musulmans[33].
L'éducation reste bien de mise dans les relations turco-africaines, avec la participation du Diyanet (présidence des affaires religieuses), de la Fondation Maarif (TMV) et de l’Institut Yunus Emre (YEE)[34]. Comme Erasmus en Europe, la fondation Maarif dispose d'un Programme international, ainsi que d'un Programme d'éducation préscolaire[35]. Puis, à l'instar des instituts linguistiques européens (Goethe pour l'allemand, Cervantes pour l'espagnol), la Turquie dispose de l'Institut Yunus Emre qui organise des travaux d’enseignement de la langue turque aux étrangers dans des centres fondés à l’étranger. Elle contribue aussi aux travaux scientifiques, et gère des activités culturelles et artistiques dans le but de représenter le pays même[36]. De nos jours, il existe tout un réseau d’écoles et de lycées turcs dans les pays africains, en l’occurrence au Nigeria, au Kenya, au Ghana, en Afrique du Sud, avec des projets d’expansion en Angola, Zambie, Zimbabwe et à Maurice[37].
Les investissements turcs en Afrique représentent une concurrence pour l'Europe en général, mais aussi économiquement pour la Chine et militairement pour la Russie[38].
D'ailleurs, d'autres acteurs régionaux comme l'Inde, le Japon et le Brésil tentent d'entrer plus profondément sur le marché africain[39]. Lors d'une réunion du Comité économique conjoint turco-angolais, le ministre turc de l’Énergie et des Ressources naturelles Fatih Dönmez, a relaté que la valeur des investissements turcs sur le continent africain atteignaient les 6 milliards de dollars, et que le nombre de projets mis en œuvre par des entrepreneurs turcs en Afrique avait atteint les 1 500, soulignant encore que le volume économique de ces projets dépassait les 70 milliards de dollars[40].
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